Sa biographie

Georges Bernanos est un écrivain français, né le 20 février 1888 dans le 9e arrondissement de Paris
et mort le 5 juillet 1948 à Neuilly-sur-Seine.

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Le nom de Bernanos

Bernanos ! on trouve ce nom à consonance espagnole, pour la première fois, en Lorraine. Mais le duché de Lorraine et de Bar, souverain et indépendant depuis 1542, est aussi sur la route empruntée par les troupes envoyées d'Espagne vers les Pays-Bas espagnols qui remontent de l'Italie.

On rencontre des Bernanos à Ancy-sur-Moselle depuis le XVIème siècle, un bourg proche de Metz.

Au XVIIème siècle, un Godefroy Bernanos, boucher de son état, épouse Elizabeth Regnauld.

Six frères et sœurs naissent de leur union dont Didier, en 1638 à Metz, est devenu marchand boucher puis messager de la ville. Décédé en 1686, il est l'ancêtre direct de la famille.

Il y a aussi son frère Jean, né un 6 mars 1648 qui appartient à la légende. Quel enfant, à vrai dire, ne rêverait d'avoir parmi ses ancêtres un authentique corsaire du Roi ? On trouve les premières traces du corsaire Jean Bernanos en 1684 dans un mémoire adressé par le gouverneur de Saint-Domingue, Tarin de Cussy, au secrétaire d'Etat à la Marine, Jean-Baptiste Colbert : ''A mon arrivée, j'appris que le capitaine Bernanos était parti depuis trois mois, avec quatre bâtiments pour aller faire descente au golfe de Paria''. On le retrouve ensuite, en 1690, contre l'alliance anglo-espagnole aux Antilles. Recommandé ainsi au roi par le gouverneur de Saint-Domingue : ''il y a ici un homme fort brave, nommé Bernanos, capitaine de cavalerie, qui a été corsaire et fait nombre de belles actions'', Jean Bernanos sera promu major de Port-de-Paix sept mois plus tard. La colonie est toujours menacée par les anglais et les espagnols et les Antilles continuent d'être le théâtre de batailles acharnées. Jean Bernanos y laissera la vie dans un ultime, non sans avoir permis à la garnison qu'il défendait de s'échapper. ''C'était le plus brave des hommes qui fût alors dans la colonie'' commente un certain Pierre François Xavier de Charlevoix, jésuite, édité en 1731, qui narre ses exploits: '' il eût seul conservé au Roi le Cap et le Port-de-Paix s'il y eût commandé en chef''. Un récit fait pour l'enfance de Georges Bernanos.

XVIIIème - XIXème

D'Ancy-sur-Moselle, les Bernanos s'installeront à Metz, puis Varize, et enfin Bouzonville à la fin du XVIIIème siècle. Antoine Bernanos, arrière grand-père de l'écrivain est tonnelier et père d'un autre Georges Bernanos devenu cordonnier. Ce dernier épouse Marguerite Krier, émigre à Paris au début du Second Empire pour y chercher fortune et se retrouver en définitive, comme tant d'autres, simple manœuvre dans l'industrie. Le couple a un fils : Émile, futur père de l'écrivain.

Émile est né le 31 mars 1854. Tapissier-décorateur. Doté d'un solide goût artistique, il est doué aussi pour les affaires. Sa réussite lui permettra de se retirer en province à 50 ans fortune faite. Il est photographe à ses heures. Catholique et passionné de politique, il est monarchiste comme beaucoup d'autres à la fin du XIXème siècle. La IIIème République de 1870 n'a été proclamée qu'après d'autres essais infructueux, monarchie parlementaire, retour à l'empire sous Napoléon III. En France, les partisans du rétablissement de la monarchie sont nombreux. Emile est de ceux-là.

Emile a rencontré Hermance Moreau à Pellevoisin, dans l'Indre, grâce à une cliente, la comtesse de La Rochefoucauld.

La fille de François Moreau et d'Hermance Pennin, cultivateurs à Pellevoisin, est issue d'une famille modeste de la vieille paysannerie d'ancienne France.

A la même époque, se produit à Pellevoisin un événement qui va bouleverser l'histoire du village.

La voici ainsi contée. Estelle Faguette, une femme de 32 ans, employée par la comtesse de La Rochefoucauld, seul soutien de ses parents, tombe gravement malade de tuberculose. Le 29 août 1875, elle apprend par son médecin que sa maladie est incurable. Face l'inéluctable, elle adresse à la Vierge Marie une prière: ''Voyez la douleur de mes parents, si je venais à leur manquer ; ils sont à la veille de mendier leur pain. Rappelez-vous donc ce que vous avez souffert, quand Jésus votre Fils, fut étendu sur la Croix''. Six mois plus tard, le soir du 14 février 1876, alors que la médecine ne lui laisse plus que quelques heures à vivre, la Vierge lui apparaît pour lui dire que sa lettre l'a touchée et qu'elle va demander sa guérison à son Fils. Estelle Faguette guérira effectivement, à la stupéfaction des médecins et de son entourage. Elle témoignera de nombreuses autres apparitions de la Vierge, certaines porteuses de messages à l'Eglise et à la France, des messages très actuels parfois: ''tu as bien le caractère du Français : il veut tout savoir avant d'apprendre et tout comprendre avant de savoir.'' Plus généralement, la mère du Christ recommande la prière : ''depuis longtemps, les trésors de mon Fils sont ouverts : qu'ils prient''. Estelle Faguette s'éteindra en 1929, à l'âge de 86 ans, pour être enterrée à Pellevoisin, à peu de distance de la tombe des Bernanos . La Vierge lui avait dit : ''Si tu veux me servir, sois simple et que tes actions répondent à tes paroles''. Dans l'église de Pellevoisin se trouve une plaque conforme à la description donnée par la Vierge à Estelle avec, aux quatre coins, des boutons de rose d'or, dans le haut un cœur enflammé transpercé d'un glaive et couronné de roses. Dessus est écrit : ''J'ai invoqué Marie au plus fort de ma misère. Elle m'a obtenu de son Fils ma guérison entière''. Depuis, de nombreux ex-voto ont rejoint les murs de l'Eglise.

Le 9 octobre 1879, Hermance Moreau, fille de François Moreau et d'Hermance Pennin, cultivateurs à Pellevoisin. et Emile Bernanos se marient à Vigny (Seine-et-Oise).

De ce mariage naîtront trois enfants.

Marie-Thérèse-Marthe, née à Paris en septembre 1880 mourra le 16 février 1883 des suites d’une méningite.

En souvenir d'elle, Hermance et Emile nomment aussi leur seconde fille Marie-Thérèse, surnommée Dé, née en décembre 1883.

1888

Et le 20 février 1888, vient au monde à Paris, au domicile de ses parents : 26, rue Joubert, Louis-Emile-Clément Georges Bernanos.

Eté 1889
A son tour, Georges souffre d'une très grave infection à l'âge de dix huit mois qui panique ses parents. Une voisine qui revient de pèlerinage leur offre une petite bouteille d'eau de Lourdes. Sa mère en donne un peu à Georges. Le lendemain, la fièvre baisse. Trois jours plus tard, l'enfant est tiré d'affaire. Les parents crurent sans doute au miracle puisqu'un ex-voto témoigne encore de cet événement à l'Eglise Saint-Louis d'Antin à Paris, église où Georges a été baptisé.

A la naissance de Georges, la famille habite Paris, rue Joubert. Puis elle s'installera , jusqu'en 1896 dans le 9°arrdt, 14, rue Vignon, où se trouve le magasin d'Emile.

 

Bernanos, enfant de son siècle

Georges Bernanos vient au monde le 20 février 1888 à Paris. Le XIXème siècle, qui marque en Europe le point de retournement définitif entre les mondes anciens et modernes. La IIIème République de 1870, qui a succédé à Napoléon III et à la défaite de la guerre contre la Prusse, est encore jeune. Après la chute de la royauté, la France est passée par trois monarchies constitutionnelles, deux courtes républiques et deux empires. Et il faudra neuf années, de 1870 à 1879, pour que l'Assemblée Nationale, décide de proposer une troisième constitution républicaine. En 1888, la troisième République n'a donc pas vingt ans d'existence et les monarchies dominent encore l'Europe. La France du XIXème est toujours en pleine effervescence, plus que jamais divisée sur la question du gouvernement des hommes : république, monarchie, scientisme, anarchie, nihilisme...

Le capitalisme ultralibéral (le mot n'existe pas encore, mais les maux...) impose ses règles. Le capital et l'industrie s'enrichissent dans des proportions et avec une rapidité jamais vues jusqu'alors, mais dans quelques mains seulement Des enfants de huit ans (déjà ! mais c'est en France à cette époque) travaillent dès l'aube dans des mines de charbons... ou ailleurs. Hugo interroge dans Les Contemplations :

Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs, que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules ?
Ils s’en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.

Un siècle plus tard ou presque, Bernanos évoquera cette question.

En France, c'est l’école primaire obligatoire de 6 à 13 ans par Jules Ferry en 1880-1881 qui remédie en partie à l'exploitation des enfants en France.

L'explosion des progrès scientifiques et techniques enivre le siècle. Le scientisme considère que la science expérimentale est le seul véritable mode de connaissance et veut, selon la formule de Renan (1823-1892), ''organiser scientifiquement l'humanité''. Une conception qui aboutit pour nombre de scientistes à vouloir confier le pouvoir politique à des experts, des ''scientifiques compétents'', mieux à même selon eux de gouverner le monde.

Associés à la finance, aux banques, au pouvoir de l’argent sur le peuple et sur l'Etat, les juifs sont de plus en plus pris à partie. Le mot d'antisémitisme commence à circuler depuis que l'intellectuel juif autrichien Moritz Steinschneider l'aurait utilisé pour la première fois en 1860 (antisemitisch en allemand) dans l'expression ''préjugés antisémites''. Un mot pour le dire. Le mal est connu mais il évolue et se radicalise. Dans la seconde moitié du XIXème siècle, cet antisémitisme là touche toutes les classes de population et concerne aussi bien la droite monarchique que la gauche socialiste.

Au chapitre des paradoxes, le Boulangisme, mouvement politique porteur de tant d’espoirs déçus, qui sévit de 1889 à 1891, aboutit aussi à un certain renversement historique en rapprochant un nationalisme et un patriotisme traditionnellement de ‘’gauche’’ vers une ‘’droite’’ antiparlementaire et militariste (cf René Rémond : La droite en France de 1815 à nos jours).

''Dieu est mort'' clame Nietzsche (1844-1900) dans ''Le Gai Savoir''. Le philosophe dresse un réquisitoire sans concession des perversions imaginées par l'homme pour ''apprivoiser'' sa nature mais qui n'ont abouti en définitive qu'à l'enchaîner. La psychanalyse est-elle née ? C'est à Joseph Breuer (1842-1925 que Sigmund Freud lui-même attribuera la naissance de la Psychanalyse, mais c'est bien à Freud que reviennent le concept lui-même, sa systématisation autour de l'inconscient et l'importance du facteur sexuel.

Le nihilisme, popularisé par Tourgueniev (''Pères et Fils'' - 1862) - et radicalisé par le fameux : ''si Dieu n'existe pas, tout est permis'' du héros des Frères Karamazov de Dostoïevsky) : - dénonce les contraintes de la société sur l'individu, refuse tout absolu politique, moral ou religieux. En mars 1881, Alexandre II de Russie est assassiné par les nihilistes du groupe Narodnaïa Volia.

L'explosion des progrès scientifiques et techniques enivre le siècle. Le scientisme considère que la science expérimentale est le seul véritable mode de connaissance et veut, selon la formule de Renan (1823-1892), ''organiser scientifiquement l'humanité''. Une conception qui aboutit pour nombre de scientistes à vouloir confier le pouvoir politique à des experts, des ''scientifiques compétents'', mieux à même selon eux de gouverner le monde.

La séparation de l'Eglise et de l'Etat n'existe pas encore - elle ne sera prononcée qu'en décembre 1905 - et le catholicisme en France exerce toujours une influence considérable. Mais le divorce est pour bientôt.

Bernanos portera profondément l'empreinte laissée par ce siècle de mutation dont les débats demeurent toujours actuels.

L'année 1888

Curieusement, l'année 1888 est loin d'être une année neutre dans ce XIXème siècle agité et plusieurs dates sont symboliques, voire lourdes de sens pour l'avenir.

Février 1888 : Bismarck évoque au Parlement allemand, le Reichstag, une guerre sur deux fronts simultanés : la France et la Russie.

Février 1888 encore: le Reichstag porte à sept ans la durée du service militaire et le nombre des soldats mobilisables à 700 000 hommes (une année plus tard, en France, la loi Freycinet sur le recrutement de l’armée fixera la durée du service militaire actif de un à trois ans dans le cadre d'un service personnel obligatoire, universel.... et inégal puisque la durée de une à trois années est déterminée par tirage au sort !).

Juin 1888 : en Allemagne, Guillaume II, fils aîné de Frédéric III, accède au trône d'empereur. Il considère l’Allemagne unifiée désormais et entend donner au peuple Allemand une « mission historique » dont l'horizon s'étendrait au-delà de l’Europe. Un thème prémonitoire. Il appuie les partisans d’une guerre préventive contre la Russie et défend les ambitions de l’Autriche-Hongrie dans les balkans.

Octobre 1888 : en France, c'est le recensement des résidents étrangers. Par décret, le président de la République instaure l’obligation pour tous les étrangers qui émettent le désir de s’installer en France de se déclarer à la mairie la plus proche dans les quinze jours qui suivent leur arrivée sur le territoire. Le 28 juin 1889 sera votée une nouvelle loi sur la nationalité qui renoue avec le droit du sol après une interruption de près d'un siècle. Elle attribue la nationalité française à tous les individus nés en France, sauf s’ils la refusent dans l’année qui suit leur majorité.

Décembre 1888 : la compagnie du Canal de Panama tente d'obtenir auprès des Chambres une prorogation de trois mois qui doit lui permettre de faire face à ses engagements financiers mais qui lui sera refusée. A l'initiative d'un certain Edouard Drumont, un immense scandale impliquant nombre de députés de l'Assemblée Nationale, est révélé.

Décembre 1888 : premiers emprunts russes souscrits à Paris. En aidant la Russie à devenir une grande puissance industrielle, la France espère contrebalancer la puissance de l’Allemagne. On sait ce qu'il devait advenir de ces emprunts avec la révolution russe de 1917 qui entraina la ruine de nombreux Français.

En 1888 viennent aussi au monde l'écrivain et poête Henri Bosco, le chanteur Maurice Chevallier, le génial joueur d'échec José-Raul Capablanca et le réalisateur allemand Friedrich Murnau.

 

Jusqu’à l’âge de huit ans, Georges passera ses vacances à Pellevoisin.

Sa grand-mère lorraine lui enseigne ses premières prières. L’influence de la mère de Georges sur son éducation religieuse est réelle. ''Qui m'a le premier appris que la Foi est un don de Dieu ? Je l’ignore. Ma mère sans doute''. (in Les Grands Cimetières sous la lune). Puis, il ajoute: [ce don] pouvait donc m’être retiré ?...Dès ce moment, j’ai connu l’angoisse de la mort car après tant d’années, je ne puis séparer une angoisse de l’autre, la double épouvante s’est glissée par la même brèche dans mon cœur d’enfant.

C’est donc la brutale prise de conscience que la Foi n’est pas acquise, pour cet enfant chez qui elle est naturelle comme de respirer, qui déclenche son angoisse d’une possible mort sans Dieu.

Et comme pour donner raison à son questionnement, les problèmes de santé, ceux de sa mère et les siens, vont accompagner toute son enfance. Depuis longtemps à cause de ma jeunesse maladive et des précautions qu'on me faisait prendre, je crains la mort, et par malheur, peut-être mon ange-gardien dirait-il par bonheur, j'y pense toujours. La plus petite indisposition me semble le prélude de cette dernière maladie, dont j'ai si peur (lettre à l'abbé Lagrange en mars 1905 in Combat pour la Vérité p.73-77).

Car c'est un enfant de constitution fragile. Georges, dit ''Petit Jô'', est fréquemment malade :

Lettres de sa mère Hermance à Julia Camail (1897-1898) :

  • juillet 1897 ''Nous nous portons tous bien si ce n'est que Georges est un peu fatigué. Il grandit tellement ; je crois que c'est ce qui le rend malade''.
  • septembre 1897 : (…) Georges a commencé d'aller au collège hier. Pauvre petit bonhomme ! Il a été bien brave, malheureusement, il a constamment mal au cœur et cela le gêne bien ?''
  • janvier 1898 : ''Petit Jô a recommencé ses cours après être resté trois semaines à se soigner. Il tousse encore, j'en suis bien ennuyée''
  • 2 mars 1898 : ''Petit Jô va mieux, voilà deux jours que je le sors'. Il entre en convalescence, je crois que ce sera long car il est bien faible''
  • 23 avril : ''Je suis toujours dans les maladies jusqu'au cou ; si ce n'est pas l'un, c'est l'autre et ainsi de suite(...) ; aujourd'hui, Georges a pris la succession...''
  • 23 juin ; ''Georges est tout à fait guéri, il ne tousse plus du tout.''
  • 23 novembre 1898 : ''Tu me pardonneras d'avoir été silencieuse quand tu sauras que mon pauvre Georges vient encore d'avoir une grosse bronchite, et quand il est malade, je perds la tête et par conséquent, je ne suis plus bonne à rien ! Dieu merci, il va mieux et je commence à respirer. C'est égal, la pauvre petit n'a pas de chance ; lui si courageux, avec si bonne envie de travailler.''

 

Sa mère évoque régulièrement ses souffrances dans sa correspondance, en faisant référence au principe du Dieu qui éprouve ceux qu’il aime mais aussi au principe chrétien de la ''communion des saints'', selon lequel la chrétienté, l'humanité même, forment une communauté solidaire en Dieu.

Cela marque t-il Georges dès cette époque ?

En Janvier 1896, Emile fait l'acquisition d'une maison à Fressin, un village située en Artois. En avril 1896, Emile vend la même année son magasin de la rue Vignon où demeurait aussi la famille, car tout le monde emménage à Neuilly-sur-Seine dans un appartement. A la rentrée de septembre 1897, Georges entre en classe de 6ème du collège jésuite de l'Immaculée Conception, un établissement réputé, situé 391 rue de Vaugirard à Paris. Ses trois années d'externat chez les jésuites ne sont pas les pires. Il y entre en sixième en 1897 et y restera jusqu'en 1900. Domicilié proche du collège, Bernanos est externe et dispose d'une certaine liberté. Le Figaro dit en 1883 de cette maison que sa réputation est excellente et qu'elle est peut-être la plus belle de Paris (…) Les professeurs, prêtres et laïques sont autant de spécialistes distingués. Elle est aussi propriétaire de douze hectares, dont sept de parcs et prairies qui vont de la rue de Vaugirard à la rue Desnouettes. Les jésuites font les heures glorieuses du collège de 1852 jusqu'à la loi de 1901 qui met sous contrainte d'autorisations (refusées par Combes) l'existence des congrégations, puis la loi de 1904 qui interdit aux congrégations l'enseignement de tout ordre et de toute nature en France.

Lorsque la loi de 1901 frappe une première fois, le directeur du collège est secondé par un certain Henri de Gaulle, père de deux élèves, Xavier en seconde et Charles en cinquième.

Si ''Petit Jô'' n'aime Paris que lorsqu'il n'y est pas, c'est que la source de ses inspirations d'enfant est ailleurs, à Fressin.

La famille vient d'abord à Fressin pour y passer ses vacances. Georges a huit ans : J’habitais, au temps de ma jeunesse, une vieille chère maison dans les arbres, un minuscule hameau du pays d’Artois, plein d’un murmure de feuillage et d’eau vive (Les Grands Cimetières sous la lune Pléiade EEC I p.383). Fressin est un petit village, proche d'Azincourt, qui vit la chevalerie française décimée un 25 octobre 1415 par les archers anglais.

Georges aime les longues marches dans la campagne, les longues marches sous la pluie en particulier. Il chasse aussi, avec un vieux fusil à piston, se trompe parfois de cible avec les poules du voisinage. On le surprend souvent en pleine conversation avec lui-même, très concentré, au point d'ignorer parfois certains paysans éberlués sur son passage.

Les noms des rues de Fressin sont un poême à elles seules et renvoient à des temps anciens : chemin des Gardes, les Quatre Routes, chemin de Paradis et chemin d'Enfert.

L'enfance de Georges puise son imaginaire. J’arrivais, je poussais la grille, j’approchais du feu mes bottes rougies par l’averse. L’aube venait bien avant que fussent rentrés dans le silence de l’âme, dans ses profonds repaires, les personnages fabuleux encore à peine formés, embryons sans membres, Mouchette et Donissan, Cénabre, Chantal, et vous, vous seules de mes créatures dont j’ai cru parfois distinguer le visage, mais à qui je n’ai pas osé donner de nom, cher curé d’un Ambricourt imaginaire." (ibid).

Le climat de la région est salutaire pour la santé de Georges et de sa mère.

Sa première communion est célébrée le 11 mai 1899. Au moment de ma première communion (il a alors 11 ans ), la lumière a commencé de m'éclairer. Et je me suis dit que ne n'était pas surtout la vie qu'il fallait s'attacher à rendre heureuse et bonne, mais la mort qui est la clôture de tout. Et j'ai pensé à me faire missionnaire, et, dans mon action de grâces, à la fin de la messe de première communion, j'ai demandé cela au Père, comme unique cadeau. Puis, toutes ces bonnes résolutions, quoique encore vivantes, se sont endormies. (Combat pour la Vérité Correspondance Plon p.75)

Sur l'éducation de sa prime enfance, Bernanos la commentera ainsi : ''Si je voulais résumer en quelques mots, pour des amis, l'essentiel de ce que fut ma formation religieuse et morale, je dirai que j'ai été élevé dans le respect, l'amour, mais aussi la plus libre compréhension possible, non seulement du passé de mon pays, mais de ma religion. Comprendre pour aimer, aimer pour comprendre, c'est bien là, probablement notre plus profonde tradition spirituelle nationale, c'est ce qui explique notre horreur de toute espèce de pharisaïsme. Dans ma famille catholique et royaliste, j'ai toujours entendu parler librement et souvent très sévèrement des royalistes et des catholiques. Je crois toujours qu'on ne saurait réellement ''servir'' – au sens traditionnel de ce mot magnifique – qu'en gardant vis-à-vis de ce qu'on sert une indépendance de jugement absolue. C'est la règle des fidélités sans conformisme, c'est à dire des fidélités vivantes.''

Mais qui est Emile, son père ?

Passionné de politique, monarchiste, il est loin d'être isolé dans ce cas à la fin du XIXème siècle. La IIIème République est très jeune à la naissance de Georges. Et encore n'a t-elle été proclamée qu'après d'autres expériences:monarchie parlementaire, sous Louis XVIII et Charles X et retour à l'empire sous Napoléon III. L'Angleterre est sous le règne d'Edouard VII, l'aigle à deux têtes de la double monarchie veille sur l'Autriche-Hongie de François-Joseph et Guillaume II, neuvième et dernier roi de Prusse, est empereur allemand. Nicolas II est devenu en 1894 ''tsar de toutes les Russies''. Si l'Europe est à la veille de basculer avec la guerre de 1914-1918 dans un cataclysme qui ne laissera aucun de ces états indemnes, les régimes dits "de droit divin" sont encore la règle.

En France, les partisans du rétablissement de la monarchie sont nombreux et actifs. Bernanos hérite de son père sa foi monarchiste. Il l'écoute le matin lire "La Libre Parole", le journal fondé en 1892 par un certain Drumont. Durant cette décennie, la France subit des séismes. Et Emile, le père de Georges, suit de près les événements.

A treize ans, Bernanos dit de la lecture de Drumont qu’elle lui a permis de découvrir l’injustice au sens exact du mot, non pas l’Injustice abstraite des moralistes et des philosophes, mais l’injustice elle-même, toute vivante avec son regard glacé. Mais qui donc est cet Edouard Drumont ? Né le 3 mai 1844 à Paris et mort dans cette même ville le 3 février 1917, Drumont est un journaliste, écrivain français et polémiste fondateur en 1892 du journal La Libre Parole, nationaliste, anti-parlementaire, résolument antisémite et anti-dreyfusard . Il publie en 1886 "La France juive" qui connaît un retentissement considérable. Le livre réunit "dans une perspective historique — tour à tour sociale, religieuse, politique —les trois sources principales des passions antijuives : l'antijudaïsme chrétien, l'anticapitalisme populaire et le racisme moderne" (Michel Winock (Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France éd du Seuil). L'ouvrage fera l'objet de cent cinquante rééditions en deux ans ! Mais Drumont est au moins aussi célèbre pour avoir révélé le scandale de Panama, un des plus grands scandales politico-financier de la fin du XXème siècle qui fit notamment les choux gras des antiparlementaires. Le scandale est né des difficultés de financement de la Compagnie universelle du canal de Panama, la société créée par Ferdinand de Lesseps pour réunir les fonds nécessaires au projet. Alors que le chantier se révèle plus cher que prévu, Lesseps doit lancer une souscription publique. Une partie de ces fonds est utilisée par les financiers juifs Jacques de Reinach et Cornélius Herz pour obtenir illégalement le soutien de personnalités politiques. En 1892, Drumont, qui avait reçu des documents confidentiels de Reinach, révèle le scandale dans son quotidien La Libre Parole. À cette époque, il purgeait une peine de trois mois de prison pour diffamation. Depuis sa cellule, il révèle les dessous de l'escroquerie avec les noms des politiciens et journalistes corrompus. Reinach retrouvé mort le 19 novembre1892, Herz s'enfuit en Angleterre. Après la mise en liquidation de la compagnie, qui ruina plus de quatre vingt mille souscripteurs, plusieurs ministres sont accusés de corruption. Le scandale met gravement en cause le Parlement, alimente l'antisémitisme populaire et, en consacrant La Libre Parole de Drumont, met en cause la presse qui sort discréditée de cette affaire.

Tout est en place pour l’affaire Dreyfus qui va défrayer la vie politique et diviser durablement la France. La condamnation à tort, fin 1894, du capitaine Dreyfus pour communication de documents secrets à l'Empire allemand intervient après l'annexion en 1871 de l'Alsace-Lorraine par la Prusse de Bismarck. La révélation de l'injustice en 1898, par Zola dans son article "J'accuse" provoque une succession de crises politiques et sociales. À son paroxysme en 1899, l’affaire est un révélateur des clivages de la France et l’opposition entre le camp des dreyfusards et celui des antidreyfusards suscite de violentes polémiques nationalistes et antisémites traduites dans la presse. Elle ne s’achève qu’en 1906 avec un arrêt de la Cour de Cassation qui innocente et réhabilite définitivement Dreyfus. Cette affaire aura des conséquences graves, une division profonde et durable au sein de la France du début du XXème siècle, l’avènement d’un antisémitisme populaire, des remises en cause politiques dans tous les camps. Les frontières autrefois plus floues de l'antisémitisme se retrouvent du côté de la droite politique. Les cléricaux se trouvant dans le camp antisémite, les socialistes français se déclarèrent finalement contre la propagande antisémite au moment de l’affaire Dreyfus. Jusque-là, les mouvements de gauche français du XIXe siècle avaient été ouvertement antisémites (H.Arendt, Sur l'antisémitisme Point-Seuil p.83).

L’"Action française", naît au milieu de ces années, en 1898.

Durant toute cette époque, la voix de Drumont résonne fortement au milieu des débats.

Mais à treize ans, Bernanos veut y discerner d’abord un sens aigu de l’injustice, un attachement à la France, le refus des compromissions et surtout un mépris radical pour l’argent. Aussi écrira t-il plus tard dans "La Grande Peur des bien-pensants" : « Le vieil écrivain de la France juive fut moins obsédé par les juifs que par la puissance de l'Argent, dont le juif était à ses yeux le symbole ou pour ainsi dire l'incarnation. En 1892, au moment de la création de La Libre Parole, un autre écrivain, Léon Bloy, que Bernanos va découvrir plus tard durant la Grande Guerre et qui va le marquer profondément, publie Le Salut par les Juifs en réponse au livre de Drumont. Là encore, le personnage est polémiste, solitaire, pauvre, mystique aussi. Il a aussi parfois ces accents du désespoir que l’âme de Bernanos détecte si bien chez ses maîtres, en écho des siens, mais d’un désespoir fertile parce que surmonté. Péguy, un autre "maître", et autre défenseur des juifs aussi, marquera aussi profondément Bernanos.

C'est à Fressin aussi, durant la période 1901-1903, que Georges entreprend d'autres lectures : Pascal, Barbey d'Aurevilly, Walter Scott, Michelet, Ernest Hello, Victor Hugo, Alphonse Daudet et son fils Léon Daudet (1867-1942), moins connu aujourd'hui que son père mais dont Proust vantera pourtant la ressemblance avec Saint Simon et que Bernanos devait bien connaître par la suite.

Avec Pascal, Bernanos partage la conscience de la mort : Tout ce que je connais est que je dois bientôt mourir ; mais ce que j’ignore le plus est cette mort même que je ne saurais éviter, la misère de l’homme sans Dieu (in Pensées). Il reprend aussi à son compte la condamnation du Dieu des philosophes : Si notre Dieu était celui des philosophes et des savants, même s'il se réfugiait au plus haut des cieux, notre misère l'en précipiterait (in Journal d’un curé de campagne). Pour Pascal comme Bernanos, c’est avec Jésus-Christ que l’homme peut avancer dans la connaissance de lui-même et du divin.

D’Ernest Hello (1828-1885),, Léon Bloy disait qu’il fut, au moins cette merveilleuse rareté qu'on appelle une âme, et, certes, l'une des plus vivantes, vibrantes et intensément passionnées qui se soient rencontrées sur notre planète. Il fut, en même temps, un écrivain d'un art étrange et mystérieux (…) [avec] ce que Joseph de Maistre appelle la "colère de l'amour" (in Un Brelan d’excommuniés). Cette colère de l’amour d’Ernest Hello est aussi celle de Léon Bloy. Elle sera aussi celle de Bernanos. Et puis, il y a chez Hello le mépris de l’argent, encore et toujours, comme un signe de ralliement de tous ses maîtres. Enfin, on cite souvent cette phrase de Bernanos : l’enfer, c’est le froid. Mais même si Dante, dans la divine comédie, fait jaillir Satan d’un bloc de glace, c’est sans doute chez Hello, qui associe Satan à la froideur même, qu’il faut en chercher la source.

Et puis.....il y a Balzac ! « Je l’ai lu à l’âge où les petits garçons dévorent les romans d’aventure… Ah ! C’est toute une histoire. J’avais volé la clef de la bibliothèque paternelle. Depuis si longtemps, je voyais à travers les vitres côte à côte, sur deux rangs égaux, ces livres inaccessibles ! Mon père les aimait tant ! Il les lisait tous, je crois bien, chaque année, il les relit encore… Tenez ! l’admirable, le prodigieux livre de Benjamin ne l’a pas entièrement satisfait : il voit Balzac encore plus grand. Je crois que sa piété est blessée de devoir accorder que l’auteur du Père Goriot est né, a aimé, est mort – est mort surtout !... J’avais treize ans (...) Oui, je n’étais qu’un petit garçon, mais j’étais tout de même aux côtés de mon grand ami. Je tenais fidèlement sa main. J’entrais avec lui dans ce monde silencieux emporté d’un mouvement frénétique… Parfois, je n’en pouvais plus, je m’arrêtais bouleversé, je croyais étouffer, mourir. Et j’allais naïvement me regarder dans la glace, rassuré parce que je n’étais qu’un peu pâle, mais vivant… bien vivant. Ah ! quel réveil ! »

Balzac eut une influence sur Bernanos à travers son univers romanesque, l'analyse qu'il fait de la société, de son temps, la profondeur psychologique de ses personnages. C'est d'ailleurs à Balzac qu'il rend hommage pour constater "ce fait immense, qui, bien avant Drumont, n'avait pas échappé à Balzac, la dépossession progressive des États au profit des forces anonymes de l'Industrie et de la Banque, cet avènement triomphal de l'Argent, qui renverse l'ordre des valeurs humaines et met en péril tout l'essentiel de notre civilisation...'' .

En mars 1933, il recommandera encore à son neveu Guy Hattu de lire la Comédie humaine d'un bout à l'autre avant toute autre chose.

Si Bernanos devait conserver plus tard de Drumont la révolte, Balzac est le magicien visionnaire assiégé par le rêve auquel il a donné la vie. Il retient la puissance d’évocation du romancier, qui par son génie poétique entraîne le lecteur dans son propre univers imaginaire (Michel Estève in Bernanos p.35)..... quand il ne se laisse pas entraîne, lui. A Bernanos qui dit que ses personnages surgissaient du néant pour l’inviter à le suivre, la rumeur ne répond-elle pas que Balzac aurait appelé à son chevet d’agonisant Horace, le grand médecin de la Comédie humaine ?

Comme chez Balzac, le surnaturel fera aussi irruption dans le quotidien des personnages de Bernanos au point de rendre le surnaturel naturel (Gabriel Marcel) dans ses romans. Comme dans la mythologie grecque où les dieux s’affrontent à travers les hommes, avec Balzac et plus tard Bernanos, le Bien et le Mal, Dieu et Satan, se rencontrent à travers nos vies (cf à cet égard Albert Béguin in Balzac lu et relu).

Qu'importe ma vie ! Je veux seulement qu'elle reste jusqu'au bout fidèle à l'enfant que je fus. (Les Grands cimetières sous la lune).

Mais de quelle enfance parle t-il ? Il s’agit d’une enfance qui n’est pas, qui n’est en aucune façon la douceur bénigne que nous nommons trop souvent ainsi. Il y a une enfance qui est une promesse puissante, la promesse née de la communauté d'élan aux premiers jours entre elle et les sources de vie, entre elle et le dessein de Dieu. C'est cette communauté d'élan qui est la joie, la seule joie dont on perçoit même au cœur de l'angoisse le rythme mystérieux et calme (Bernanos tel qu'il était Mame 1963).

L’enfance pour Bernanos, c’est déjà pressentir le temps des engagements à venir qui l'appellent et qui devront franchir cette heure où l’adolescence étend ses ombres, où le suc de la mort, le long des veines, vient se mêler au sang du cœur. Car les rêves de notre enfance nous appellent, au-delà de la surface des choses, de la surface de nous-mêmes. Et il faut accepter le risque d'y répondre et garder le regard lucide pour en protéger la lumière, malgré les ''réalistes conseilleurs'' qui vous pressent de devenir un garçon pratique, sous peine de crever de faim. Mais ce sont mes rêve qui me nourrissent (in Les Enfants humiliés).

N’est-ce pas cet esprit d'enfance de l'Evangile que Jésus célèbre : laissez les petits enfants et ne les empêchez pas de venir à moi ; car c'est à leur pareil qu'appartient le Royaume des Cieux ? Sans doute, puisque c'est précisément à l'enfance que Bernanos associe la sainteté. Je ne prétends pas confondre l’esprit de jeunesse et celui de charité. Je ne suis pas théologien. L’expérience m’a seulement appris qu’on ne rencontre jamais l’un sans l’autre (in Les Grands cimetières sous la lune). A propos de Thérèse de l'Enfant Jésus, il écrit : ''On pourrait dire qu'elle est devenue sainte en jouant aux saints avec l'Enfant Jésus, comme un petit garçon qui, à force de faire tourner un train mécanique, devient presque sans y penser, ingénieur des chemins de fer, ou même plus simplement chef de gare...'' (La Liberté, pour quoi faire ? p.265 Gallimard 1953).

On comprend mieux dès lors que les autres ''fondamentaux'' de l'écrivain que sont l'honneur, l'héroïsme, la sainteté, l'honnêteté ou la fidélité s'articulent autour de cet esprit d'enfance.

En face de l'esprit d'enfance, il y a la conjuration des vieux, l'esprit de vieillesse. Ce ''Vieillard'' allégorique, c'est l'esprit d'avidité, l'''infatigable mâchoire. Jamais repu, il veut toujours plus. Il est prêt à se priver et à priver le monde de tout pour ne manquer de rien dans un imaginaire futur dont l'échéance recule sans cesse et que la mort finira inéluctablement par lui ravir. Le règne des vieux, c'est en définitive celui de la peur : peur des autres, de manquer, de perdre l'attention du monde, peur du lendemain. Une fermeture, un repliement sur soi-même dans une tentative absurde et illusoire de contrôler la vie. Engagés dans cette course, les vieux oublient la mort qui les attend à l'issue de leur lutte exténuante. Leur rêve profane d’une impossible éternité dans la matière s’éloigne au fur et à mesure qu’ils croient l'approcher.

Et ce que Bernanos n’a pu, ni voulu éviter : confronter le sens de la vie, de son destin à sa conscience de la mort, cette recherche impérieuse de réponses dans la lumière de son enfance, son appel à courir le risque de la sincérité, de la simplicité, de la grandeur... qu'en ont-ils fait ? Ont-ils manqué l'instant magique ? Ont-ils refusé l’appel ? Qu’ont-ils choisi ?

Ces chères têtes rondes ! Chers regards désapprobateurs, et si touchants, si pathétiques, parce que leur gravité n’est que feinte et que nous trouvons, nous, sous tant de dignité glacée, une terreur ingénue de la vie, tous les rêves de l’enfance morts sans baptême – l’enfance, vous dis-je ! L’enfance sublime ! Quelle tristesse ! Tant de gens qui n’ont jamais osé franchir l’adolescence pour entrer tout entiers dans l’âge mûr, avec la part noble de leur être, et qui ont choisi d’être stériles, par crainte d’embarras ultérieurs, ou de perte de temps.

Perte de temps ! Ils ont perdu leur vie. L’aventure de la jeunesse, ce don de Dieu à chacun de nous [...], ils l’ont laissée exprès, elle les menait trop loin, ils n’ont pas voulu courir le risque de la sincérité, de la simplicité, de la grandeur, ils tombent dans le médiocre sans comprendre que la plus extraordinaire, la plus hasardeuse, la plus fantastique entreprise, c’est encore de subsister en imbéciles dans un monde ruisselant de beauté. G. Bernanos, "Noël à la Maison de France", 1928, Essais et Ecrits de combat, I, Pléiade, p. 1122-23.

Car pour Bernanos, il s'agit de ne faire grâce à notre vie d’homme d’aucun des rêves de l’enfance, et les plus beaux, les plus hardis, les plus avides(...) C'est que nous ne nous sommes jamais sentis si jeunes, si chantants, si amoureux, un brin de laurier au coin des lèvres, et disponibles pour toute entreprise périlleuse, pourvu qu'elle soit de peu de profit et de beaucoup d'honneur. Il a 40 ans déjà quand il a écrit ces mots (G. Bernanos, "Noël à la Maison de France", 1928. Essais et Ecrits de combat, I, Pléiade, p. 1122-23.)

Et plus tard encore Bernanos conclut son message: "Si c'était à refaire, je referais mes rêves en encore plus grand car je sais que la vie est infiniment plus belle que je ne l'imaginais".

Et c'est parce que l'enfance est porteuse des aspirations les plus profondes qu'elle renferme aussi le mystère de la vie, le mystère des êtres.

- Le mystère du romancier : je crois qu'un véritable romancier, je veux dire un homme qui a réellement rêvé son livre, en a tiré la plupart des situations et des images dans ce fonds d'expérience subconsciente qui est certainement pour moi celui des précieuses, irremplaçables, et incommunicables expériences de l'enfance, que la crise d'adolescence fait presque toujours retomber dans la nuit.

- Le mystère de ses personnages : Bernanos y fera régulièrement référence dans son œuvre pour analyser tel ou tel personnage, en déceler les ressorts cachés, les blessures intimes.

- Le mystère des êtres : ''L'expérience m'a prouvé trop tard qu'on ne saurait expliquer les êtres par leur vice, mais au contraire par ce qu'ils ont gardé d'intact, de pur, par ce qui reste en eux de l'enfance, si profond qu'il faille le chercher.'' (in Lettre aux Anglais p.92) ?

C'est en cela que l'esprit de sainteté et l'esprit d'enfance chez Bernanos se rejoignent, car Si la sainteté déroule une histoire, ce serait plutôt quelque chose comme une succession, sans répétition où tout moment est unique.(in St Dominique Gallimard 1939 p.26) ''Ici tout est pur, tout est neuf, tout s'efforce vers le haut, comme l'universelle ascension de l'aube.(ibid p.11-12).